Notre siècle surplombe plusieurs millénaires de production artistique. Plus encore : il en embrasse consciemment la diversité. Mondialisation et réseaux internet n’ont fait qu’accentuer la visibilité des courants artistiques présents ou passés, patrimoine méditerranéen, asiatique, africain et extra-occidental en général. L’exposition « Canons de beauté » fait écho à ce phénomène et propose d’y réfléchir de manière transversale.
Les œuvres de la série « Fake Abstracts », de l’artiste espagnol Lino Lago, reproduisent un même dispositif : une surface monochrome, comme gommée par un doigt curieux, révèle quelques détails d’une toile de maître. Il s’agit en l’occurrence de portraits signés François Boucher (1703-1770), artiste emblématique du règne de Louis XV. Palimpsestes incongrus, les œuvres de Lino Lago questionnent avec humour notre perception. L’abstraction pure des aplats de couleur contemporains semble s’opposer à la finesse baroque et son foisonnement de détails. Pour autant, l’une et l’autre de ces « manières » est caractéristique de son époque, jusqu’à en devenir un jalon académique, un stéréotype. Les portraits rococo sont, dans l’imaginaire collectif, indissociables du crépusculaire XVIIIe siècle européen. De même, les monochromes de Kasimir Malévitch (1879-1935), signalent une avant-garde éculée tout au long du XXe siècle, jusqu’à devenir aujourd’hui une norme. La révélation de visages féminins n’est pas non plus anodin, clin d’œil au concept classique de beauté. Par quels glissements culturels les formes abstraites s’y sont substituées ? Sans jugement, Lino Lago invite le spectateur à mettre ces interrogations en résonnance.
Laurence Le Constant opère quant à elle un syncrétisme mythologique et symbolique. Chacun de ses personnages tire son nom d’une divinité antique – Thémis, déesse grecque de la justice ; Anoukis, de la crue du Nil en Égypte ancienne… –, sans pour autant en arborer les attributs caractéristiques. Une relecture complexe, nourrie de mangas de science-fiction et inspirée par « le temps du rêve » propre aux récits légendaires des aborigènes d’Australie, est présentée ici. L’art de la plumasserie permet à Laurence Le Constant de donner vie à des personnages hybrides, aux traits ardents. Thémis, fillette vêtue de flammes, révèle à quelques endroits son incarnation : une peau bleu, lapis-lazuli – couleur du ciel étoilé au pays des pharaons ; en Inde, épiderme des divinités qui ont transcendé la mort. La magie qui opère n’est pas due simplement à la facture des œuvres, mais au mystère qui les accompagne. Celui-ci encourage le visiteur à le dépasser, à devenir un initié. Par le questionnement, par l’imagination. Les sculptures de Laurence Le Constant, comme échappées d’un cabinet de curiosité inédit, déroutent autant qu’elles fascinent.
Canons de beauté
27 Septembre - 23 Novembre 2019
Lino Lago
Laurence Le Constant