« Les objets ne constituent ni une flore, ni une faune. Pourtant, ils donnent bien l’impression d’une végétation proliférante et d’une jungle, où l’homme des temps modernes a bien du mal à retrouver les réflexes de la civilisation. »
Jean Baudrillard, La société de consommation, 1970
En entrant au sein de la galerie Géraldine Banier pour cette nouvelle exposition et lorsqu’on se penche sur les œuvres des trois artistes présentés : c’est le factice qui frappe. L’installation des ordinateurs de François Nouguiès est un ensemble de fragiles sculptures en céramique ; les installations in situ de Sabrina Vitali, exhibant leur aspect de chair crue, gonflée et rougie, sont en sucre ; quant aux photographies immenses de Lino Lago elles se révèlent être des toiles peintes avec précision. Le spectateur est tenté de toucher, malgré les interdits. Il ne pourra qu’essayer de percer avec ses yeux le secret des différentes pièces exposées. Cette tension des sens, et du sens, est au cœur du parcours.
Né en 1973, l’artiste espagnol Lino Lago met en parallèle, dans sa série ‘Victima’, un animal et un objet, jouant exagérément sur les échelles. Chaque produit manufacturé écrase la faune à ses pieds. La nature est écartée, à chaque fois, de ces ustensiles et statues qui mettent en valeur le savoir-faire humain. Lorsqu’elle apparaît, c’est sous une forme stylisée, domestiquée, comme un idéal. Les toiles reproduisent d’ailleurs l’aspect formel des photographies publicitaires, le plus souvent manipulées sur divers logiciels : fond gris, ombres portées soigneusement réglées pour témoigner de la véracité de la prise de vue, pourtant totalement mensongère.
L’artiste montpelliérain François Nouguiès, né en 1969, met également en perspective l’illusion consumériste avec les ‘Vanités’. Ses sculptures ne sont plus que que la forme d’un ordinateur, leur usage usuel est devenu symboliquement caduc. Ces objets statiques, sans même une activité virtuelle derrière l’écran, insistent sur l’absurdité omniprésente de notre activité quotidienne. S’asseoir devant cet objet inanimé reprend ici toute sa trivialité, parce qu’il n’est pas fonctionnel. Quelle en est la finalité, si l’on y réfléchit ? Construit-on réellement son individualité, coupé de ses voisins d’open-space par un tourbillon virtuel?
Les travaux de la jeune artiste Sabrina Vitali mettent eu aussi en exergue un monde englué dans des images et des formes abstraites et irréelles. Ses Reliquaires en plexiglas ne contiennent rien : le sacré, le rêve et l’imagination n’ont plus leur place dans le monde contemporain. Ils sont remplacés par une vacuité immense, camouflée par des couleurs, dissimulée sous des géométries distrayantes. De même, ses sculptures in situ rappellent une industrie de alimentaire qui a considérablement réduit les horizons de nos palais : sucré-salé, au détriment de l’acide et l’amer, presque inexistants de nos jours. Cet appauvrissement culturel et gustatif, Sabrina Vitali l’accentue en utilisant le sucre pour des installations a contrario fascinantes, en écho à des organes figés.
Nous autres visiteurs sommes donc pris au piège, face à ces œuvres contestataires qui nous mettent au pied du mur : quel monde pour demain ? Comment recréer un enchantement physique, réel, en dehors de tout artifice ?
Axel Sourisseau