Puissance de l’archétype
Khaled Dawwa ou l’évidence du sens, en somme. Pour cette raison à la fois éminente, évidente et didactique :
le recours à l’archétype, en l’occurrence celui de l’homme sur le trône.
Un personnage sur un trône, quelle que soit la nature de ce dernier, modeste chaise curule romaine, fauteuil de bois mal fignolé de Charlemagne ou chaise à bras en majesté faite d’argent massif de Louis XIV, c’est la personnification du pouvoir.
Pouvoir légitime, illégitime que cette concentration de l’autorité en une même main, un même corps, un même sceptre ? Tout dépend de l’élection. La forme outrée dans laquelle l’artiste syrien inscrit ses figures d’hommes assis sur des trônes, à cet égard, jugule toute hésitation : ceux-ci ont usurpé le pouvoir, ils sont illégitimes.
L’archétype, pour l’occasion (le trône que viennent prolonger le thème de l’obésité plus le caractère buté des visages, l’absence totale d’ouverture à autrui que ces derniers manifestent), ne laisse aucun doute, et permet l’universalité du message : le pouvoir, quand il est confisqué, est une maladie, une déviance, une perversion. Une souffrance aussi, pour qui le subit.
Ubu est drôle au théâtre, pas dans la vraie vie.
Une des plus vieilles représentations du souverain en action, l’antique étendard d’Ur, originaire de ce Moyen Orient qui est aussi la patrie de Khaled Dawwa, a recours à la figure du souverain sur le trône pour exprimer le pouvoir : pour l’occasion, le long d’une frise, celle d’un souverain un peu plus grand seulement, sur ce bois sculpté, que les personnages qui l’accompagnent.
La mise en scène d’un leadership tolérable ? On peut le penser.
Francis Bacon, pour sa part, maltraite dans plusieurs de ses peintures le pape Innocent X tel que l’a figé Vélasquez, des siècles plus tôt, sur son trône pontifical. Le chef religieux tel que le repeint Bacon hurle, prisonnier de son fauteuil de pouvoir, comme perdu, abandonné de Dieu peut-être. Comme si le pouvoir et sa détention, parfois, ne pouvaient sauver de tout. Le destin funeste qui attend les dictateurs sculptés de Khaled Dawwa ? Formons des vœux.
Paul Ardenne
Agrégé d'Histoire, docteur en Histoire de l'art, Paul Ardenne (France,1956) est maître de conférences à l'Université Picardie Jules-Verne d'Amiens, écrivain et commissaire d’exposition.
Membre de l’AICA-France (Association internationale des critiques d’art), il collabore notamment depuis 1990 à la revue Art press.