Moments suspendus, personnages en attente, techniques traditionnelles détournées, voilà ce qui d’abord est l’angle commun du travail de Maguy Banq et d’Alexia Tailleur. Le Sisyphe de bronze de la première est condamné comme dans la légende grecque à pousser laborieusement sa pierre immense, les muscles tendus, la chair écorchée, a contrario des sculptures classiques au drapé impeccable, et au visage lisse. Les Icônes de la seconde ne célèbrent pas des saints chrétiens, mais les martyrs des temps modernes, marginaux et sans domicile fixe : la religion disparaît pour devenir philosophie sociale. La feuille d’or n’est pas encerclée par des contours définis mais devient une nouvelle strate de l’image, une touche précieuse éclipsant le trivial.
Car les deux artistes ont reçu au départ un enseignement classique. Maguy Banq acquiert les différentes techniques de la sculpture du bronze à la cire perdue et du moulage au début des années 1990 à l’École des beaux-arts de Mexico. Une décennie plus tard, Alexia Tailleur passe plusieurs mois dans un monastère italien afin de maîtriser la peinture d’icônes et les différentes poses de feuilles d’or, après un diplôme d’arts plastiques à Toulouse.
Toutes deux mettent ainsi les matières au centre de leur oeuvre. L’une mêle le bronze à l’ardoise, au bois brut pour ses Grimpeurs – bois qui de fait continue à travailler, jusqu’à ce que les troncs se fendent, les personnages suspendus au-dessus de précipices. L’artiste toulousaine unit quant à elle la photographie sur calque à la feuille d’or et la résine, superposant les couches de manière à ce que la lumière rende chacune de ses oeuvres différentes selon le point de vue du spectateur.
Cependant, les problématiques des deux femmes ne sont pas les mêmes, même si elles y distillent l’ironie et l’absurde. Maguy Banq semble plus proche de Samuel Beckett avec ses personnages sans but, absorbés dans l’accomplissement d’actes burlesques dont ils ne perçoivent même plus la finalité, tels les protagonistes d’En attendant Godot. La jeune artiste toulousaine se préoccupe davantage de questions sociales et urbaines, tantôt focalisée sur l’humain – la grandmère en lévitation contre un mur de pierre – , tantôt sur des villes sans habitant dont les maisons sont serrées les unes contre les autres, favelas brésiliennes ou vision biblique d’une Bethléem abandonnée. Toutes ces habitations respirent, tous ces humains soufflent dans leur ascension d’un sommet vide. Ils aspirent certainement à une reconnaissance sociale ou à un abandon. Sufflare, sufferre auraient conclu les antiques latins…
Axel Sourisseau
Sufflare, Sufferre
23 janvier - 15 mars 2014
Maguy Banq / Alexia Tailleur