L’exposition de Laurence Le Constant à la galerie Géraldine Banier organise un rite singulier. Les œuvres exposées sont les instruments d’une cérémonie invoquant les ancêtres et mettant en scène les souvenirs d’enfance de l’artiste.
Cheval à bascule, tronc d’arbre en totem, étranges animaux, assiettes décorées d’oiseaux en faïence fine (dite « Terre de fer »)… Autant d’objets dont la magie entraîne les réminiscences, tels des « madeleines de Proust ». La nature est omniprésente, revisitée, rassurante. L’espace du jardin et de la maison familiale ressuscitent par l’évocation du jeu.
L’humain fait son apparition autrement, sous la forme d’ossements rendus vivants par les couleurs et les motifs des plumes qui les recouvrent. Car les crânes de Laurence Le Constant ne sont pas vraiment des Vanités : certes ils rappellent la fragilité de l’être humain, mais ils forment d’abord des figures tutélaires précises. La jeune artiste en parle d’ailleurs comme des «portraits», et les baptise en hommage à des femmes proches ou lointaines, qui comptent pour elle : Colombe, Tina, Maria, Astrid… Le prénom est finalement le dernier apparat du souvenir.
La grande variété des plumes employées pour recouvrir les têtes leur donne à chacune une identité et un caractère propre. Aucune n’arbore la même expression ni la même coiffure, sourire ou sourcils froncés, bouclettes ou piques dressés sur le sommet du cuir chevelu. Les couleurs et les motifs mouchetés, zébrés, marbré, étoilés peuvent aussi évoquer des tatouages tribaux et une cosmogonie à la symbolique complexe.
Les femmes ont une place essentielle dans le travail et la vie de Laurence Le Constant, élevée par sa grand-mère, entourée par ses tantes. Ses œuvres renvoient à une conception matriarcale des sociétés : même dans l’ombre, ce sont les femmes qui gouvernent et si leur pouvoir de donner la vie est souvent avili par les masculinistes, c’est au sexe féminin que les hommes ont bien souvent laissé le soin d’élever (dans tous les sens du terme) les futures générations, clé de l’Histoire et des changements.
C’est également une femme qui a initié Laurence à l’art de la plumasserie, alors qu’elle travaillait dans un atelier de broderie de Lunéville. L’artisane lui a transmis à leurs heures de pause ce savoir-faire pratiquement disparu. Une technique qui exige beaucoup de précision et de patience, s’apparentant presque à la méditation : concentration et répétition rendent le processus introspectif.
L’oubli n’a pas sa place ici. L’oubli, c’est la mort définitive. L’artiste combat finalement la disparition à plusieurs niveaux : d’abord par l’emploi de techniques de plus en plus rares ; en protégeant ensuite la mémoire de lieux et d’êtres chers par la création même.
Le monde est un cercle qui n’arrête pas de tourner, vie et trépas entretiennent mutuellement leur rappel. L’écrivain russe Iouri Olecha écrivait dans son Journal : « Peut-être la peur de la mort n’est-elle que le souvenir de la peur de naître »…
Axel Sourisseau