Vues de l'exposition "It's play time"
Le thème du football a été lancé dans le monde poétique de l'artiste Sung-Rea KIM. Quel genre d'image peindra-elle pour le football ? Alors que tous les artistes participants parlent de football à travers leurs propres yeux, Sung-Rea Kim a pris le ballon de football, puis elle est remontée jusqu‘à la Genèse.
 
Dans le travail de Sung-Rea KIM, Adam et Eve tiennent des ballons de football et sourient brillamment, des ballons de football sont aussi suspendus partout sur l'arbre où se situe ‘le fruit interdit’. D'où vient le courage de l'auteur à renverser ‘le fruit interdit’, le début de l'humanité et même les histoires de la Bible ? Vous pouvez trouver cette raison-là dans les visages innocents d'Adam et Eve.
 
Adam et Eve sourient comme des enfants. Cette expression nous fait oublier le péché originel de l'homme, issu de l'arbre ‘au fruit interdit’, et les innombrables heures de souffrance issues de ce péché originel.
 
L'apparition de ce travail est un espoir qui contient une paix plus drastique que toutes les autres tentatives. C'est le message que l'artiste nous adresse. "L'expulsion du jardin" de Chagall est la seule œuvre de l'histoire qui montre un visage heureux quittant le jardin d'Eden. Mais maintenant, une œuvre de plus a été créée, de plus, l'artiste a transformé le jardin d'Eden en un joyeux terrain de football.
 
Le temps d'audience,
 

‘Le noyau dur des faits et la chair de l'interprétation controversée qui l'entoure.’
 
Je pense que la définition de la description historique de Carr s'applique également à notre exposition. Et ce qui est plus intéressant, c'est qu'il y a eu beaucoup de controverses au sujet de la Coupe du monde, elle-même.
 
Cette Coupe du monde a suscité de nombreuses polémiques dès le départ. Récemment, des villes ont boycotté la Coupe du monde parce qu'elle n’était pas respectueuse de l'environnement. D'innombrables questions relatives aux droits de l'homme ont été soulevées lors de la préparation de la Coupe du monde. Le traitement des ouvriers mobilisés pour la construction du stade a suscité de violentes réactions.
 
Le Qatar, l'un des plus grands investisseurs de la scène artistique internationale, a mis en œuvre de nombreux projets de sculpture en plein air pour cette Coupe du monde et les a présentés à une échelle splendide et gigantesque. Il anime également régulièrement des séminaires sur le thème de l'Art pour le Futur.
 
Le choix, l'analyse et l'interprétation sont désormais entre les mains du public. À l'époque moderne et dans l'art contemporain, comme le disait Duchamp, le créateur de la création est le public, pas l'artiste.
 
L'artiste voit des faits historiques et crée sa propre œuvre. L'œuvre d'art que le public voit est une nouvelle réalité.
Maintenant, c'est au tour du public. Devant une œuvre qui est devenue une partie de la réalité, l'interprétation du public est permise, en toute liberté !
 
It's playtime !
 
« Ce sont les regardeurs qui font les tableaux. » - Marcel Duchamp.
 

Jungmin CHOI
Curateur
Docteur en Arts Plastiques, Paris I Sorbonne
 
Ps. Un match de football est complètement différent quand vous le voyez sur le terrain.
Et les œuvres d'art sont complètement différentes lorsqu'elles sont vues dans une salle d'exposition.
Sung Rea Kim, In the beginning there was soccer (2022), h 45 x 40 x 27, Mousse d'uréthane, papier mâché, argile de papier, bois, dessin, revêtement d'uréthane
Dans son travail précédent, Sang-il OH a traité de questions profondes sur la solitude humaine. Cette fois, c’est la rencontre avec le football. Avec ce thème l'artiste semble retrouver la joie de son enfance. La juxtaposition de la boule brillante et des ailes rappelant Harry Potter est fantastique.
L’artiste trouve un silence lourd et une solitude paisible pour rencontrer le football au milieu des changements dynamiques d’une société moderne rayonnante. Face à ce sujet, en portant un lourd passé sur ses épaules, il retourne vers son enfance, parle d’espoir aux enfants mais aussi de l’espoir qu’il a reçu de la part des enfants.
 
Parce qu'un ballon de football est rond, vous ne savez pas où il va rouler. C'est comme la vie. Dans les pays riches et pauvres, les enfants se contentent de jouer avec un petit ballon de foot. Quand on regarde le foot, on oublie les soucis de la réalité. Nous recevons une consolation en regardant les enfants jouer innocemment avec le ballon. Tout comme le football, l'artiste nous montre des pièces qui nous réconfortent.
Sang-Il Oh, Flying to the moon, (2022), H 54 x 64 x 20 cm, Fibre de verre, PRF, chromage, acier inoxydable, pierre noire de mer. - Timbuktu (2022), H 46 x 20x 20 cm Fibre de verre, PRF, chromage, acier inoxydable, pierre noire de mer.
Se Young Kwon- Jeu jouable II, III, IV (2022), Tirage pigmentaire (H 40 x 30 cm) sur papier Hahnemühle 325g, Cadre photo Aluminium Ambre Mat 60x40cm
Polat Tayir - Paysage dans le gant I, II, III (2022), 12 x 21 cm, peinture à l'huile sur gant d'ouvrier
La photographie, qui a poussé la peinture aux frontières de la mort en raison du développement des techniques de reproduction, se trouve désormais elle aussi au seuil de la mort en raison de la nouvelle ère ouverte par l'iPhone. L'âge numérique infini n'est pas limité par la pellicule. A une époque où nous sommes tous devenus photographes, à une époque où personne ne cherche de photos, le photographe Se Young Kwon est toujours à la recherche d’une photo.
 
Paul Virilio a dit « une inondation de l’image est l'industrialisation de l'oubli ». Notre monde bouge vite. Il n'est pas facile de rester immobile en regardant le paysage. Ici Se Young attrape le ballon et capture son ombre.
 
Notre époque a envie d'images. "Je prends des selfies. Donc j'existe. » Nous prouvons notre existence avec un 'selfie'. De cette façon, la photo a disparu, ne laissant que l'images et le désir.
 
Regarder vers le monde du football et des objets qui l’entoure amène Kwon à dévoiler une photo imprimée sur papier et non sur un écran de smartphone. Un clin d’œil au conseil d'Anselm Kiefer pour lequel  "les œuvres doivent être vues sur le site de l'exposition". Des photos sur papier et non un écran.
Le gant d'ouvrier est un objet réaliste et existentiel sur lequel Polat Tayir peint des travailleurs et des footballeurs. Une création qui rappelle la main de l’ouvrier et son travail sur les chantiers. Des stades splendides qui sont le fruit d’innombrables heures de travail fournies par les ouvriers. Le pinceau de Polat s’exprime sur un simple gant de coton, pas sur une toile glamour. La vie d'innombrables travailleurs anonymes dont personne ne se souviendra figure sur ces petits gants de coton. 
 
Bien que ces gants ne soient pas aussi flashy que le splendide stade du Qatar, ils renvoient aux nombreuses mains qui l’ont façonnées. Une expression artistique du quotidien des ouvriers inconnus.
Clovis Petit crée son propre organisme. Il l'appelle 'kit'. Son kit est unique, tous les éléments sont sculptés par la main de l'artiste.  Le kit qu'il a produit part de l’anatomie du corps humain. Cela renvoie à l'ère des robots. Il montre la beauté du corps humain et la précision de fabrication.
 
Ici son kit figure un joueur qui se prépare à un match de football. L’artiste a choisi la couleur de l'Ukraine et celle de la Russie. Il donne à son kit un caractère politique et sociologique en choisissant les couleurs de deux pays en guerre. Deux pays se confrontent mais ce n’est pas comme un match de football. A la guerre succèdent la mort et des victimes innocentes. Ces deux kits évoquent l’espoir d’une confrontation sans horreurs, sans morts, sans destruction. Une compétition pacifique comme le football.
 
Des petits cubes sans expressions sont assemblés pour former les jambes, les bras et les corps et donner vie à ces kits. L’artiste raconte l'histoire de la guerre à travers un jeu. Alors que le monde acclame le football, il nous rappelle que la guerre continue.
Clovis Petit, (2022) KIT Footballeur (UKR) et KIT Footballeur (RUSS) - Bois (cp peuplier), boulons écrous et rondelles en inox, perles, colliers colson, colle vinylique, peinture acrylique. 4 faces interchangeables. H 30cm
La Magie du football
 
Dimitri Chostakovitch fut l’un des plus grands compositeurs russes du XXe siècle. Après son professeur Alexandre Glazounov, il est le deuxième musicien à avoir écrit une symphonie à l’adolescence alors qu’il n’avait que 19 ans. Une œuvre de maturité, de grandeur et d'envergure qui ne laisse présupposer de son jeune âge.
 
Malgré son brillant génie et ses début fabuleux, sa vie et sa musicalité n'ont pas été motivés par la splendeur et la reconnaissance mais par la peur de la mort. Il vécut sous le régime stalinien où les gens étaient capturés et tués sans un mot. La Grande Purge a définitivement jeté une ombre sur sa musique, sa vie, son temps voire même ses traits.
 
Curieusement, alors que sa vie était effrayante et sombre, les portraits qui le représentent montrent un homme avec un sourire d’enfant.
Grand fan de football. Il avait même une licence d'arbitre et racontait toujours des histoires en lien avec le foot dans les lettres qu'il échangeait avec ses amis pour oublier un quotidien tragique dans lequel la moindre incursion de la police secrète pouvait signifier une condamnation à mort. C’est « la magie du football ».
Dans le travail de Nicolas Demeersman nous observons une certaine tension due à des éléments opposés. L’artiste met en scène des paradoxes. Par exemple, la beauté et le grotesque, le sérieux et le drôle. Une belle femme, la bouche ouverte, avale un poulpe pendant qu’un monsieur a l’air sérieux fait un doigt d’honneur.
 
L’artiste créé une scène, puis la prend en photo. Pour ce genre de travail, il faut avoir un plan subtil soit esthétiquement soit narrativement. Le spectateur sait que cette scène n'est pas le fruit du hasard. Le  regardant a bien conscience de l’intention de l'artiste dans cette scène qu’il a imaginée et photographiée.  Dans le cas de Nicolas, la photo réussit à composer une scène qui semble se dérouler dans le monde réel. Entre la vraisemblance de la réalité et la situation mise en scène par l’artiste, il existe une tension malgré la cohérence du début à la fin. Cette démarche est dans la nature même du travail de l’artiste.
 
Ici pour parler de football, l’artiste a choisi le ‘baby-foot’. C'est un objet fabuleux, un jouet universel. Les personnages portent les uniformes de l'équipe nationale.  Il met là en parallèle et en tension un simple jeu et un uniforme d’équipe nationale qui peut apporter un sens politique. Il lance un ballon de soupçon et montre sous l’apparence d’un jeu les uniformes de deux pays d’occident et du Moyen-Orient.
Portrait de Dimitri Chostakovitch, Jungmin Choi
J U N G M I N  C H O I 
N I C O L A S  D E M E E R S M A N 
B E N J A M I N  G R I V O T
S U N G  R E A  K I M
S E Y O U N G  K W O N 
S A N G - I L  O H 
C L O V I S  P E T I T 
P O L A T  T A Y I R
I T ' S  P L A Y  T I M E  !
E X P O S I T I O N  C O L L E C T I V E
Le regard de Benjamin Grivot est provocateur et sociologique. Son capot de voiture, qui semble n'avoir rien à voir avec le football, parle d'une histoire oubliée. Ce travail parle de l’exécution de la peine de mort au Qatar. C'est une tentative plus provocatrice que n'importe quelle autre œuvre.
 
(exécution d’Anil Chaudhary) https://www.lorientlejour.com/article/1259429/execution-dun-condamne-la-premiere-en-20-ans-denonce amnesty.html#:~:text=%22Le%20Qatar%20a%20repris%20les,2020%2C%20selon%20l'ONG.
 
Cette affaire a été oubliée et il s’agit là d’une question sur l'époque actuelle qui reste muette sur la peine de mort. Aux côtés de cette accusation, il a placé une colonne de ballons dégonflés. C’est une sorte d’ironie ou une vacuité comme une réponse sans retour sur la vie et la mort. Il a construit cinq tours avec du ciment, un paradoxe dans lequel un lourd bloc de ciment exprime un ballon dégonflé. Avec un ballon dégonflé la tension autour du football semble avoir disparue en un instant.  Dans tous les cas, c'est perdant ou gagnant. Après un match, le ballon est dégonflé mais ici, avec le poids du ciment, il se tient droit même s’il s’est vidé d’une partie de son air.
Nicolas Demeersman - Babyfoot V, 2022 -Edition 1/3, Photo numérique (30 x 42 cm), Hasselblad, Tirage sur Papier fine art, Encadré  H 42,7 x 52,7cm
 


L'événement historique et le regard des artistes 
 
La coupe du monde de football 2022 se déroule au Qatar, pour la première fois en hiver, afin d’éviter les grosses chaleurs étouffantes du Moyen-Orient.
Si plus de 150 pays du monde entier participent aux Jeux Olympiques, seuls 32 pays ont été sélectionnés pour cette compétition sportive internationale après des sélections très strictes. Tous les pays ont participé aux qualifications.
 
Pour jouer au football il faut un gardien et dix joueurs. Seul le gardien peut toucher le ballon avec sa main mais en aucun cas les joueurs. Un point est accordé si le ballon est envoyé dans le but de l'adversaire avec les pieds, la tête ou le corps. L'équipe qui marque le plus de points gagne. Des règles de jeu simples qui enthousiasment la planète pendant 90 minutes.
 
Un sport accompli qui rassemble et fait oublier les divisions. Les partis politiques et les différentes religions ne font plus qu’un sous le drapeau national. Tous les citoyens deviennent des fans de l’équipe de leur pays et enfin des patriotes. Nous applaudissons quand notre équipe marque et nous sommes tristes si nous perdons le match. Comment interpréter et expliquer ce phénomène simple et surprenant ?
 
L'historien britannique Edward Hallett Carr a défini l'historiographie comme ‘Le noyau dur des faits et la chair de l'interprétation controversée qui l'entoure.’ Il décrit les faits avec son point de vue. Le fait qui a existé est le noyau solide et l'interprétation de l'historien est ce qu’il y a autour du noyau. Ce fait solide et la description historique qui s'y ajoute se rencontrent pour former notre « histoire ».
 
L’artiste n'est pas l’historien. Cependant, les artistes s’expriment également sur le « fait solide » avec leur « propre perspective créative ». L'intervention de l'artiste pour l’événement de l’histoire est ainsi réalisée. Goya a peint l’horreur de la guerre et Picasso s’est également exprimé contre la guerre dans son œuvre, Guernica. L’artiste ajoute de la « chair artistique » sur le noyau dur. Dans cette exposition sept artistes expliquent, expriment, introduisent, revendiquent et accusent avec leur propre langage le fait solide de la Coupe du monde.
 
Les sept artistes qui participent à cette exposition sont à la fois des joueurs et des entraîneurs. Ils jouent leurs jeux avec leur style propre. Parfois intensément, parfois controversé, parfois radicalement et calmement, ils parlent de ce sujet chacun avec leur propre langage. Le sujet est le football et son environnement. Les artistes parlent de cette Coupe du monde mais aussi du monde qui encourage la Coupe du monde. Ils racontent l'histoire des ombres portées par les huit splendides stades de la Coupe du monde desquels s’élèveront les acclamations de la foule.
Benjamin Grivot - Anil, (2022)  - 135cm x 105cm x 12cm, Capot de voiture, bois, bandes LED /  Monuments (2022), Béton, acier - dimensions variables (un ballon 20x20x15 cm)
Portrait de Dimitri Chostakovitch, Jungmin CHOI (2022),
35 cm X 27 cm ,
Acrylique, encre de Chine

25 Novembre 2022 - 15 Janvier 2023

 

54, RUE JACOB

75006 PARIS